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On n’écrit jamais seul

Michel Cornaton

Le croquant 55-56, Notes de lecture p.197-198, 2007

(à propos de l'Homme Imprononçable, extraits) Il est des comptes rendus d’ouvrage proprement terribles ( terribilis) à faire : le lecteur a beau refermer le livre, celui-ci l’a tellement pénétré qu’il a le plus grand mal à dissocier ce qui est de lui de ce qui appartient à l’auteur. C’est le sentiment que j’éprouve à la lecture du dernier ouvrage de Patrick Laupin. En parler équivaut à un double dévoilement. Mais comment faire entendre une poésie qui ne trahisse pas la réalité ? Comment ne pas trahir ceux que P. Laupin, enfant des Cévennes – l’autre grand être de beauté naturelle -, élevé dans une famille de mineurs de fond, a patiemment écoutés durant toutes ces décennies ? J’ai vu plusieurs fois le signe libre de la poésie sans astreinte se lever chez ceux qui, privés d’une place dans la société, ont pour devoir et morale de ne jamais vouloir y entrer et encore moins de s’y soumettre. Au linceul de leurs blessures une transparence diaphane s’invente comme le tocsin propage l’alarme au ciel d’un bûcher.

On n’écrit jamais seul, ce sont en réalité les voix anciennes qui nous parlent. Le grand-père maternel, jamais connu, cependant là : il est mort à trente-sept ans, mort au travail de bagnard de la mine, la grand-mère ( j’aurais voulu à jamais rester sur tes épaules, avec toi dans les Cévennes où nous étions heureux), les oncles, les cheminots, l’ouvrier allemand, le petit vannier, les chômeurs qui ne communiquent plus qu’ avec ce qui meurt. Nous surprenons alors le clin d’œil rieur de Patrick Laupin : Nietzsche ne dit-il pas qu’il a trouvé le surhomme dans un fossé, au bord du chemin ? Le livre est dédicacé

A mon frère Jean-Luc

A maman

En mémoire

Sur son lit d’hôpital maman m’a redit cette phrase qu’elle prononçait souvent : « Les douleurs sont des folles et ceux qui les écoutent sont encore bien plus fous qu’elles. » Plusieurs fois dans ma vie je me suis perdu et le vide a fait son entrée mais je n’ai jamais trahi la sincérité poignante du silence de sa voix. Au bout de la lente contemplation du grand Rhône, de sa couleur turquoise, verte qui est magique, cesse le reproche au frère parti si vite si loin, si tôt, si vite, dont le manque est définitivement insoutenable. Où est le père ? Toujours absent, pourtant constamment là pour ceux qui épient l’eau pure où coule la figure éternelle du père. Et puis, en couverture, les petits de l’auteur sur sa moto, dans une cour de ferme…

Pendant que des schizophrénies s’emparent du monde

Des anges musiciens se défenestrent