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La parole, une urgence contre la pénurie

Roger Dextre

Lettre à l'auteur, décembre 2003

"Chaque image, enclavée dans le rêve, détachée par le réveil, est livrée à une calcination qui s'éprouve immédiatement dans le vivre des sens ; elle revient, se re-dit (damnée, sauvée ?) dans la psalmodie du poème qui accompagne et pousse en avant des figures obstinées, instables ; c'est un rituel dont la foi est toujours en attente, en péril, en après-coup, jamais donnée ou reçue dans une bénédiction. L'écrit attire dans le monde commun de l'attention "ces simples images, si saintes, que parfois on a peur, en vérité, Elles, ici, de les décrire " (Hölderlin). La lecture se consume à les considérer, là, et à en absoudre la vue.

C'est à dire, pour ce que je lis, à en détailler le surgissement hors du doute de la vie, premières dans ce deuxième temps, comme sauvées. Puis, ce n'est pas ça. Le temps perd toute initiative. Qu'est-ce qui a lieu ? Qui suspend toute idée de consécution ? ... " L'erreur fatale d'absoudre."

Qu’est-ce donc, que la « force » de ce peintre ? Sinon suivre le sens qui se perd dans ses cryptes, mais aussi dans l’au-delà de la représentation « immense » « où s’éprouve un désastre de corps, où s’éprouve la vérité d’une âme se sondant jusqu’à la mort »

Il me semble que tu as saisi ou que tu as été saisie par ce qui pouvait abolir toute appréhension sensible et, dans un désordre originel, la netteté de l’expérience et l’incapacité extraordinaire, malgré sa cruauté, à y prendre fond. Non qu’il s’agisse d’éliminer les gestes essentiels (animaux, naturels, humains), mais qu’une «transparence des ravins » délite et fonde, paradoxalement, la parole, une urgence contre la pénurie.

Quel calme on obtient lorsque les nativités ont été montrées, lorsque les guerres ont passé, lorsque les corps ont été maltraités, « pleure plus fort »

« ô insensée silencieuse/nulle trace / et l’erreur / l’erreur fatale / d’absoudre »

Est-ce le dernier mot ? Non, en ce qui me concerne, le temps vient se briser sur ce que tu sais dire de la « ronde des visages pétrifiés de lumière » : « L’au-delà les a visités et vidés de leur forme première »

Si j’entends cela, je tombe dans l’escalier, à jamais. Certes, j’entends ta voix, mystérieuse comme celle de Nerval au début d’Aurélia, la peur s’apaise justement parce qu’elle se reconnaît, mais il s’y engouffre en même temps une telle solitude, prenant le temps, emplissant le temps où le « vouloir exister » ne connaît encore rien de son ébranlement (je te cite p. 52).

C’est l’éternité de la mélancolie secrète – de Dieu – où Schelling pense qu’enfin apparaît la parole par laquelle Dieu s’apparaît à lui-même, mais où notre temps se disjoncte de tout centre, sauf ou plutôt sauve la ténuité de la voix, des gestes que tu saisis dans leur repli, mais que tu exposes dans leur déploiement risqué et généreux.

Au chaos de ce que je dis, accorde l’inquiétude et quasi la proximité trop grande et, faut-il le dire, la crainte partagée de ce que tu parcours et dis par miracles renouvelés – le miracle du sensible nous arrivant. Comment avons-nous des amis dans le monde ?

Je t’embrasse

Roger

Voilà, je n'ai pu m'empêcher de faire encore quelques corrections .J'arrête, sinon ce ne sera plus une lettre .Je t'envoie par la poste quelques écrits .C'est ton jour (le nôtre?).

Je t'embrasse, chère Anne . (J'avais inscrit ce salut en début d'envoi, mystérieusement effacé. Terrorisé par la crainte d'une fausse manœuvre, je t'envoie le tout sous cette enveloppe baroque . )